M Le Monde • 29 septembre 2023

29 septembre 2023
M Le Monde • 29 septembre 2023 Hugo Bourny

SON HISTOIRE
Au Japon, le terme« natsubate » per­met de décrire cet état d'épuisement extrême qui engourdit le corps aux heures les plus chaudes de l'été. Entre juillet et septembre, quand les températures et le taux d'humidité grimpent dans !'Archipel, le kakigôri fait alors office de remède idéal. Les Japonais raffolent de cette glace rafraîchissante qu'ils achètent dans des yatai, des petites échoppes ambulantes de rue. Servi dans une coupelle, le dessert traditionnel - certaines sources témoignent de sa consommation lors de la période de Heian, entre les VI 11e et XIIe siècles - consiste en un grand dôme de glace pilée que l'on recouvre de différentes garnitures aromatiques: sirops de fruits, lait concentré ou encore haricots azuki. Toute la subtilité du kakigôri tient dans sa texture aérienne et délicate, sou­vent comparée à de la neige. Cette particularité vient du fait que la glace n'est pas réellement pilée mais plutôt rasée en une multitude de fins copeaux à l'aide d'une machine dédiée : le rasoir à glace (ou machine à kakigôri). On doit son invention à un certain Hanzaburô Murakami, mar­chand de glace, qui en a obtenu le bre­vet en 1887. Le modèle mécanique, encore utilisé de nos jours, se com­pose d'une armature en métal et d'un socle équipé d'une lame tranchante, de type mandoline, destiné à accueillir un bloc de glace brute. Une manivelle se charge ensuite de faire tournoyer le plateau sur lui-même et de débiter, à chaque passage de la lame, de minus­cules fragments d'eau glacée.

SON USAGE

À quelques heures du service de midi, un petit monde s'active dans les cui­sines du Lucas Carton (Paris ae), l'un des plus anciens restaurants étoilés de la capitale. Dans la section réser­vée à la brigade pâtissière, une machine à kakigôri a été installée au milieu d'un grand plan de travail. Sa présence détonne dans ce décor fait d'ustensiles en Inox et de balances électroniques.« J'ai découvert cette manière de faire de la glace grâce à une ancienne collègue japonaise, explique le chef Hugo Bourny. Elle permet d'obtenir une texture très fine, presque cristallisée, qui fond instanta­ nément sur la langue.» Ici, le kakigôri intervient en support d'un dessert très raffiné imaginé par Jordan Talbot: « Parce qu'il fond rapidement, on l'utlise comme une sauce sucrée très délicate qui assaisonne et rappelle les différents éléments du plat», précise­t-il.

Le chef pâtissier dépose un disque de glace couleur carmin au centre de la machine. Ce dernier a été réalisé à partir d'une infusion de rooibos (un thé rouge au goût légèrement terreux), de vinaigre de cidre, de jus de fram­boise et de jus de galanga. Jordan Talbot fait tourner la manivelle en rythme et, peu à peu, dans un ronfle­ment sourd, une neige écarlate
se met à tom ber au creux d'un bol. Réservée au congélateur, elle viendra mouiller un sablé au flocon d'avoine, une marmelade de framboise fraîche, une crème crue à la vanille, un sorbet rooibos, des pickles de gingembre, une mousse légère au yaourt. ..

@LéoBourdin @PatrickPleutin

MACHINE À KAKIGÔRI OOUSHI, 109,95 € CHEZ AKAZUKI.FR